Mon Exil en Amérique
Entretien avec un Algérien aux USA
MCK, originaire d'un village sur les hauteurs d’Ait-Douala, vit en aux USA depuis plus de 35 ans. Malgré l’exil et la distance qui le sépare de sa Kabylie natale, il garde beaucoup de souvenirs de son jeune âge. Artiste avec plusieurs talents, il touche à la peinture, le théâtre, la musique et la poésie. MCK a gracieusement accepté de se livrer sans retenue.
Zighen Aym (ZA): : Votre arrivée sur le continent Nord-Américain ne date pas d’hier?
MCK : Je suis arrivé sur un vol de Pakistan International Airlines le 6 janvier 1979. Cela fait exactement 35 ans, Mais c’est comme si c’était hier. Le vol de Paris à New York avait pris tellement de temps que je commençais à perdre l’espoir d’un atterrissage. Je croyais aussi que peut-être j’avais pris le mauvais vol et que l’avion se dirigeait vers le Pakistan. A cet instant là, je n’avais pas réussi à réaliser que l’Atlantique était aussi grand et que l’Amérique était aussi loin..
ZA: : New York était votre destination finale ?
MCK : Non, de New York, je devais prendre le bus pour le Kansas, au centre des USA pour rejoindre mon épouse, Terry, car sa mère y habitait. Mais le trajet de 2000 km par bus ne me plaisait pas beaucoup car il allait durer plus de trois jours. C’est là que je me suis rendu compte que ces lointains exils sont pénibles non seulement pour les esprits mais beaucoup plus pour le corps. D’abord sept heures d’avions suivis de trois jours de bus. Alors, j’ai décide de rapprocher l’arrivée en échangeant mon dernier billet de cent dollars pour un aller simple par avion de New York au Kansas ?
ZA: : Que s’est-il passé au Kansas chez votre belle-mère ?
MCK : J’arrive donc avec ma barbe et mes cheveux longs et mon bendir. En me voyant pour la première fois, ma belle-mère m’informa que « The gold rush is over. You are a century late, my son (La ruée vers l’or est terminée. Tu es en retard d’un siècle, mon fils ». Mais je voulais lui démontrer que la mienne venait juste de commencer.
ZA: : Comment ?
MCK : Kansas venait de subir une tempête de neige et beaucoup de personnes étaient coincées chez eux pendant trois jours. Il fallait donc déblayer la neige et ouvrir les chemins devant leurs maisons. J’étais devenu le héros, car non seulement j’avais enlevé la neige devant la maison de ma belle-mère avec une petite pelle mais j'avais aussi enlevé la neige devant celles de 15 autres voisins. En les libérant, j’étais devenu leur héros et ils m’ont récompensé avec $300. C’était beaucoup d’argent. J’étais tellement fier. Surtout que je n’avais que huit (8) francs à mon arrivée au Kansas, des francs que j’ai toujours sur moi, d’ailleurs.
ZA: : Attendiez-vous à être payé ?
MCK : Au début c'était de bon cœur que je le faisais. Puis les voisins m'ont donné des pourboires que je n'attendais pas bien sûr. Remarque, je n’avais jamais vu autant de neige de ma vie.
ZA: : Un Algérien qui libère des Américains, cela devait être étrange?
MCK : C’est cela l’Amérique. En creusant la neige, je voulais libérer les voisins. Il en résulta que je goutte à ma première bonne poignée de dollars. Tout comme les premiers pionniers creusaient la terre pour de l'or. Ma ruée vers le dollar venait de commencer.
ZA: : Tout juste après, vous avez pris le chemin de l’Ouest américain ?
MCK : Ma femme et moi primes la route ver la Californie par voiture pour parcourir environ 3000 km du Kansas à San Francisco. Sur la route pour la Californie, nous sommes tombés dans une tempête de neige et de glace qui nous avait coincés car notre voiture a glissé et a percuté un arbre. Des gens sont venus nous récupérer et ils nous ont hébergés. Ce n’est que huit jours plus tard que nous sommes arrivés à San Francisco.
ZA: : Un Kabyle à San Francisco, vous deviez être le seul ?
MCK : Heureusement, non. Grâce à un annuaire, j’avais pu retrouver mon voisin de Tizi-Ouzou, Smail, qui était déjà installé à San Francisco. Il nous a invités chez lui pour dîner. Chez lui, j’ai rencontré un autre voisin de Tizi-Ouzou, Omar, qui lui nous a énormément aidés. Il était chef-serveur dans un restaurant à San José, une ville située au sud de San Francisco. Il nous offrit, mon épouse et moi, le gîte chez lui. Le lendemain, il m’emmena chez le coiffeur pour me faire couper la barbe et les cheveux pour trouver du travail dans un restaurant mexicain en tant qu’aide-serveur .Plus tard, il nous trouva une chambre et nous prêta sa voiture.
ZA: : Pourquoi vous a-t-il coupé vos cheveux ?
MCK : Cette époque était celle de Khomeini en Iran. L’ambassade des USA à Téhéran était encerclée. Avec ma barbe et mon accent, je passais facilement pour un Iranien. Il fallait donc que je m’intègre et de ne pas attirer l’attention de quiconque. Jusque là, j'avais l'air d'un jeune oiseau auquel la quille a été promise. C’est à dire la sortie de cage. Par contre le monde civilisé était près à m'accueillir à bras ouvert pour porter les plateaux à la plonge. Ensuite je suis devenu serveur et il fallait tout apprendre et en cette époque tout jeune qui parlait français pouvait facilement trouver du travail dans un restaurant. Sans problème, même s’il était nul.
ZA: : C’est ce que vous vouliez faire ?
MCK : Non, mais il faut bien gagner son hamburger. J’étais serveur pendant deux mois avec Omar. Le travail de restaurant ne me plaisait pas du tout et je voulais faire du théâtre. Mais un mois plus tard, mon épouse et moi quittâmes la Californie car Terry, avait le mal de mère et nous sommes partis au Minnesota.
ZA: : Je croyais que sa mère habitait au Kansas…
MCK : Oui sa mère habitait toujours au Kansas mais nous sommes rendus plus au nord dans l’Etat du Minnesota d’où sa famille était originaire et où sa sœur habitait.
ZA: : Votre épouse avait le mal de mère et elle va habiter près de sa sœur. C’était étrange, n’est-ce pas ?
MCK : Le mal de mère est une maladie étrange et le cordon ombilical semble dominer. Et le Minnesota était une double cage : Non seulement le froid, coté température, qui nous attendait mais aussi le froid, coté humain, qui y dominait. C’est le moment que mon épouse et le chien de sa sœur qui habitait avec nous se sont rendus compte que j'étais un peu spécial. J’avais une grande gueule qui était encore plus assourdissante que mon bruit du bendir que le chien ne supportait pas. Je tapais sur mon bendir, en faisant la zerda et en chantant haut et fort la chanson d’Idir, acteddu-iyi acteddu-iyi ou celle de Djamal Allam, mara ad-yughal, chansons d’ailleurs que j’avais aussi joué dans le métro à Paris. Cela me permettait de me calmer car je me sentais en cage. Mais mon épouse m’ordonnait de sortir la peau car le chien devenait fou et ne cessait d’aboyer.
ZA: : Quelle peau ?
MCK : Le bendir était fait avec la peau d’une chèvre et quand je le chauffais, la peau devait dégager l’odeur de chèvre qui excitait le chien.
ZA: : Revenons à votre départ d’Algérie. Vous aviez quitté l’Algérie bien avant 1979 ?
MCK : J’ai quitté l’Algérie en 1973 pour Paris où il fallait s’y accrocher. En 1976 je suis parti pour Londres.
ZA: : Votre intérêt pour le théâtre est-il né en France ou en Algérie ?
MCK : C’était à l'école primaire et au CEG en Algérie. A cette époque nous étudions Tartuffe et La Fontaine et nous jouions les poèmes. Il fallait non seulement les réciter mais aussi y ajouter les gestes et les émotions. Mon expérience ne s’arrêtait pas là. Car de retour à la maison, je rassemblais la famille et je leur jouais des sketches – en l’absence de mon père bien sur car sa ceinture en cuir me faisait peur.
ZA: : Votre famille participait-elle ?
MCK : Ils aimaient bien et ils n’avaient aussi pas le choix. Il faut dire que je m'imposais car je crois que j’étais assez dur comme enfant. Je faisais participer mes frères et sœurs et cousin car je devais les rallier à ma cause.
ZA: : Pourquoi avoir choisi le chemin de l’exil ?
MCK : Je ne sais pas. Peut être à cause du vent du Nord ou pour fuir et aller de l'avant ou peut être aussi que l’on croyait que c’était la chose à faire vu que nos parents l’ont aussi fait. C’était peut être un passage dans le monde de l’adulte ! Et déjà à cette époque là, il fallait une autorisation de sortie, un papier difficile à obtenir. C’était en 1973, l’époque des bourses d’études, la nationalisation des hydrocarbures, et des vannes de pétrole fermées.
ZA: : Avant c’était l’autorisation de sortie qu’il fallait. Maintenant c’est des visas…
MCK : C’est à dire le contraire, l’autorisation d’entrée. La question reste la même : Sortir ou ne pas sortir (sortir ou rentrer). En France, je me suis inscris à Vincennes pour étudier l’anglais. En tant qu’enfant déjà j’étais fasciné par l’art et les dessins sur les pots. J’écoutais aussi la BBC sans trop bien comprendre.
ZA: : En France, vous avez fait du théâtre et avez travaillé avec Mohia?
MCK : Oui, le théâtre me permettait de m’exprimer. Je pouvais être moi-même et Mohia l'a senti en moi et il m'a invité à y participer. Je m’étais rendu compte que quand on suit le quotidien et on fait le clown dans la rue, les gens vous jugent et se moquent de vous. Mais dans le théâtre, ils essayent de comprendre quelques choses et d’y puiser des leçons. Il y a quelque part en nous un besoin de rendre légitime cet acte, notre propre personnalité, sans limite et limitation sociale. Au théâtre on fait que ce le fou fait librement dans la rue. Nous sommes encore régis par la société et nous n’avons donc pas toujours le courage du fou. C’est peut-être l’une des raisons pour laquelle les artistes généralement se taisent dans la vie courante et ne s'expriment que dans leur art. J'ai donc répété avec la troupe pendant trois mois à Jussieu et j’ai joué dans la pièce de Mohia
ZA: : Laquelle ?
MCK : Elle s’appelle « Limik du DDarik » (L’exception et la règle de Bertolt Brecht). Mais malheureusement, j'ai dû quitter le théâtre parce qu’il fallait travailler et gagner de l’argent pour payer le loyer etc…
ZA: : Quel souvenir avez-vous de Mohia
MCK : Je l'ai revu en 2000. Nous avons beaucoup marché cette nuit là. Nous avons marché pendant toute une nuit dans Paris, presque neuf heures de marche. Mohia était en paix avec lui-même car il semblait avoir trouvé son chemin et Platon lui convenait aussi bien. Mohia cherchait à savoir plus sur lui-même et il essayait de se connaître et de découvrir les relations entre les Grecs et les Kabyles et leurs façons de poser des questions. La question en elle-même était la matière principale.
ZA: : Que disait-il sur la vie?
MCK : Mohia donnait beaucoup d’importance aux petits choix que nous faisons à longueur de journée. Il me demandait d’arrêter de vendre les Milles Feuilles (j’étais pâtissier à ce moment là) Il me conseillait de vendre ttbaxur au Monde Occidental car il en avait beaucoup besoin. Il ajoutait que « et puis c'est un truc bien de chez nous ».
ZA: : La routine quotidienne est quelques fois perçue comme un sommeil ?
MCK : De toute façon qui dort se réveille tôt au tard et lorsque le réveil se fait suivre beaucoup de moments d’aigritude car on se rend compte que c’est trop tard. Quelques uns s'interrogent sur le sens de la vie ou essayent de lui en donner quelques uns ou à ce qu’ils ont de plus cher. Ce sont les petits choix de tous les jours qui s'accumulent et font boom un jour. Et il y a aussi ce qui nous est prescrit…ayen yuran…
ZA: : Mais il y a des choix qui se présentent sans que l’on s’en rende compte…
MCK : C’est pour cette raison que la présence d'esprit est requise à tout moment. Mais hélas le présent est régi par le passé, d’où un poème qui s’intitule Zip ttamupli. S’il y avait des choses à faire, il y a bien une que j’aimerai : Celle de pouvoir partir et revenir aux dépens des saisons comme d’ailleurs les rouges-gorges et les grives le font lorsqu’ils quittent le froid en Europe et rendent visite à la Kabylie.
ZA: : La Kabylie vous manque autant ?
MCK : Les racines, A/ar comme nous disons en Kabylie, dérangent. Ce qui me contredit au fait, c'est l’incapacité de me couper du pays totalement comme l'ont fait les immigrants italiens en se rendant aux USA entre 1878 et 1926. Pour s’intégrer, ils ont du couper leurs racines, angliciser les noms de leurs enfants comme l’ont fait ceux du sud de l’Italie car leur peau était un peu plus brune et qu’ils étaient de simples ouvriers.
ZA: : Les solutions d’intégration et l’assimilation ne sont pas aussi faciles …
MCK : Je ne me suis pas totalement assimilé car j’ai gardé beaucoup de ce que j’ai ramené avec moi. Mais en m’intégrant, je me suis déchiré en même temps. Le quotidien s’est traduit par une instabilité culturelle. Même en Kabylie, les choses ont tellement changé maintenant. La ville par exemple a totalement changé les gens. Comme dirait Monsieur Khati (a-t-ir;em Rebbi), Seg ~erdiwen neffeped di 1954 per Tizi-Wezzu ur oad id newwi, (1970).
ZA: : Comment expliquez-vous cela ?
MCK : Il me semble que A/ar a au moins deux tentacules, l'un collectif et l'autre personnel. Ces tentacules sont souvent noués et le problème est de les séparer. Dans mon cas, mes aspirations personnelles m’ont permis de garder un peu de ces racines. Et plus, avec le temps, nous nous rapprochons de nous-mêmes. C’est pareil à un alpiniste qui, arrivé au sommet d’une montagne, se rend compte qu’il vient de grimper la mauvaise montagne. Donc ces deux racines : l’une nous lie à nous même, notre coté humain et universelle. C’est ce qui est talent en nous. L'autre nous lie à ce que nous pensons nous aidera à le redécouvrir et mettre la main dessus. Mon poème, Targit, parle de cela dans le sens large du terme. Il inclut le fantasme, le désir, et l'habitude
ZA: : Que se passe-t-il quand la racine ne se sait pas ce qu'elle est devenue?
MCK : C’est déjà ancré en nous et grâce au premier tentacule, nous portons avec nous des dictons, ceux de l’appel de la terre. La langue et les mots tels que revenir, amja;, i-kula, iru; dayen, nous affectent, et nous appellent à la rejoindre. Cette raison a poussé les Italiens venus aux USA à ne pas parler leur langue car le tentacule est présent, les guette et les rappelle. C’est le cas de certains Algérois originaires de Kabylie qui pratiquent de moins en moins la langue kabyle à la maison. Il est préférable de calmer la racine et d’assourdir son appel en devenant l’autre. Ensuite l’habitude devient coutume et deuxième nature.
ZA: : Mais beaucoup de coutumes continuent d’être véhiculées de générations en générations?
MCK : Nos anciens avaient des recettes émotionnelles très pointues et la décomposition d’une de ces recettes devient compliqué et même la pauvreté et la faim deviennent des termes qu’il faudra redéfinir. L’Hasnaoui lui-même a attaqué la chose du point de vue de la femme; Les hommes partent pour peut-être satisfaire le désir de partir. Mais la femme ne semblait pas être intéressée par le manque de pain mais plutôt par la présence de son mari et le bonheur. La blessure pour le pain est bien décrite dans cette fameuse chanson de Hayat lorsqu’elle chante : Jaolep zew=ep d u;cayci ur ma srip iyedrimen
ZA: : L’exil en Europe est-il comparable à l’exil aux USA?
MCK : Lorsque j’étais à Paris dans les années 1970, j’étais le lecteur et l’écrivain publique de beaucoup de travailleurs immigrés. Je les ai vus pleurer à flots quand je leur lisais les lettres qui leur arrivaient du pays. Celles-ci leur demandaient de porter tout le village et ses coutumes sur le dos. Ces immigrés ne communiquaient pas par l’écrit du tout. Et leur oralité les faisait pleurer. Moi aussi quelques fois je me suis retrouvé en train de pleurer avec eux. La chose bizarre était que la lecture de ces lettres se faisait dans des cafés français. La règle sociale ne nous permettait surtout pas pleurer devant les siens, quitte à payer plus cher les cafés.
ZA: : L’expérience semble douloureuse et les racines nous rattrapent…
MCK : Il faut dire que venir à Paris était une angoisse totale. Il fallait s’accrocher, s'y inscrire dans une école quelconque et survivre. Il faut dire que nous nous s’entraidions. Aujourd’hui je ressens l’appel de la terre et cela me fait rappeler l’eau salée que l’on m’a jetée sur mon dos au moment du départ pour avoir soif du pays. Comme vous le disiez tout à l’heure ici aussi aux USA, un vieil indien a raconté qu’une de leurs anciennes coutumes était d’enterrer le cordon ombilical de leurs enfants pour qu’ils se souviennent de leurs terres et d’y repartir plus tard.
ZA: : Comment expliquer ce lien à la terre, cette soif du pays?
MCK : Beaucoup parmi nous sentent cette soif, certains s’y laissent à se la rappeler. D’autres par contre veulent l’oublier. Il y a quelques semaines, ma fille qui a 25 ans a fait des youyous. En l’entendant, une amie kabyle lui demanda d’arrêter tout en lui faisant remarquer que nous n’étions pas des Apaches. Le comble est que ma fille a un demi-frère qui est un Apache Indien. Donc cette attache à la terre, même si elle est emprisonnée derrière une porte blindée, peut hélas nous trahir dans des moments vulnérables. Cette femme doit se sentir plaquée contre le mur. Nier ses propres racines et ses coutumes lui semble être une solution. C’est tout comme le cas de quelques Kabyles algérois qui ne veulent plus entendre parler kabyle ou de Kabylie. Il y’en a même qui se vantent d’avoir des terres en Kabylie et lorsqu’on leur fait remarquer qu’ils ne parlent plus kabyles, ils s’emportent. C’est le cas où les racines devancent de loin les pensées et l’histoire qui coule encore dans les veines des gens. Ce n’est qu’en se regardant dans le miroir que nous retrouvons notre propre visage.
ZA: : Que représente la terre alors ?
MCK : La terre est notre mère nourricière qui ne nous laisse jamais tomber. Nous vivons dessus, elle nous nourrit et elle nous reçoit quand nous mourrons. La récolte peut ne pas être bonne une année mais elle le sera l’année d’après. A/ar est aussi un bout de mémoire qui se plante ailleurs aussi si on a le courage de prendre son destin en main comme l’on fait les premiers venus ici aux USA.
ZA: : Comment vit-on l'exil ici en Amérique du Nord?
MCK : Il est encore plus difficile qu'en Europe parce que l'Amérique ne tolère pas les immigrants qui veulent une attache au pays d’origine. L’Amérique a besoin de déracinés. D’ailleurs, c’est pour cela que l’immigrant a l'occasion de changer son nom lorsqu’il prend la nationalité. Les parents sont encouragés à donner des noms américains anglo-saxons à leurs enfants pour soi-disant leur éviter d’avoir des problèmes d’appartenance. Mais quelques fois il y a des surprises comme à San Francisco où j’ai rencontré des chinois de deuxième génération dont les enfants ne parlent pas très bien l'anglais. Leur très importante communauté leur permet de garder leur culture et leurs coutumes. Mais je me demande si agir ainsi, on peut profiter pleinement de ce malaxage de culture qu’est l’Amérique.
ZA: : Apres tant d’années passées ici aux USA, la poésie semble devenir votre moyen d’expression préféré…
MCK : Certes, à défaut du théâtre, la poésie est devenue un moyen de transcrire mes émotions, mes sentiments et mes explications du monde que je vois et ressens. Du manque interne de ne pas avoir vécu en tant qu’adulte en Algérie sort une envie de recoudre la vie d’avant: Les souvenirs d’enfance, les jeux, la famille me manquent. Le problème était que le départ s’est fait avec l’idée de retour. Mais le temps fait que le retour ne nous appartient plus ou plus exactement n’est plus de notre ressort car nous sommes entrés dans un engrenage de classe moyenne qui nous condamne à travailler douze mois de l’année pour s’offrir un toit et de la nourriture. En 1979, j’ai écrit un poème intitulé « Dollar » :
Si Saint-Paul iyi-d yekka lexbar
A;lil kulci iru ; d axssar
A;afi, a se..ar
|ebbi nep ke` a dullar
Aw-ik yuffan s uqen.ar
Ad i-;ewwass ad i-nem,ar
Ixeddim |ebi ad yevve\ (yev.er)
Anef i ceob aoe..a\
Ur yerbi; ur i-qemmer
Nnek akw-d nnek ass-a nemlal
Wa d aberkan wa d amellal
Ihi tamselt nessen d aryal
Yiwen yebpa le;lal
Waye, issaram lahlal (Agyur)
Saint-Paul est une ville dans l’Etat du Minnesota.
ZA: : Que direz-vous à tous ceux qui veulent quitter le pays?
MCK : Ce n’est que lorsque je me suis trouvé trop loin de la Kabylie que je lui ai donné sa juste valeur. Tout de même, je leur dirai qu’avant de quitter le pays, d’ouvrir biens les yeux et une fois partis de devenir myope.
ZA: : Voulez-vous bien expliquer ce conseil?
MCK : Il faut bien ouvrir les yeux pour donner de la valeur à ce qui est devant soi pour ne pas partir par aigreur ou par dégoût car les problèmes d'Algérie sont partout. Il y a des problèmes et les mêmes problèmes ! L’étranger ne nous change pas et je me demande si quitter reste la bonne solution et bien sur celui ou celle qui vit en Algérie voit les choses autrement et cela je le consens. Je ne connais pas la réponse car parler est bien facile et chacun souffre de son coté et la vie tourne la page.