L’Algérie et la fuite des Cerveaux
Quelques Raisons et Conséquences
Dr. Salhi est établi professeur, chercheur actif et enseignant en culture, littérature, cinéma et théâtre post-coloniaux à l’école des langues et cultures modernes de l’Université de Leeds (Angleterre). Il est le fondateur et directeur du premier Centre Britannique d’Etudes Francophones Post-coloniales (1997-2003) et directeur- adjoint du Centre d’Etudes Africaines (2003 à ce jour) à l’Université de Leeds. Il a occupé des postes internationaux d’enseignant et de chercheur avant de rejoindre Leeds en 1995, et a publié six livres de critique et de théorie des cultures, langues, et littératures post-coloniales. Il est membre du Jury du Prix International NOMA AWARD de la critique littéraire africaine.
Zighen Aym, correspondant d’IZURAN aux USA, a rencontré Dr Kamal Salhi à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign où il était invité pour diriger une chaire d’études nord- africaines et post-coloniales.
Zighen Aym (ZA): Votre parcours a commencé au Lycée Technique de Dellys. Comment s’est présenté le virement vers une formation littéraire et dans la philosophie culturelle?
Kamal Salhi (KS): J’avais peut-être une prédisposition et un flair pour les arts et la littérature d’une manière générale. Mais tout en étant déjà au collège et plus tard au lycée, j’ai dû être aussi inspiré par les activités intellectuelles de mon frère aîné Brahim, un avide des grandes philosophies classiques et modernes et aussi un adepte de la nouvelle vague du cinéma. Je me suis donc trouvé moi aussi à fréquenter et, par la suite, à animer des centres artistiques et culturels qui m’ont amené plus tard à travailler dans une maison de culture et commencer à produire mes propres pièces de théâtre et des films dont « Yemma » qui a obtenu un prix dans un festival international et surtout « Pour la Liberté » [note: ZA premier film en Kabyle] co-réalisé avec mon collègue de l’époque, Tahar Yami. A tout cela s’ajoutait ma participation naïvement militante au mouvement culturel berbère.
ZA: Quel souvenir en tirez-vous du tournage de ce film?
KS: Ce film avait formé un mouvement de solidarité et un fort enthousiasme des villages (Irdjen, At Iraten) où nous l’avions tourné non sans grandes difficultés comme en rencontre la plupart des cinéastes et producteurs de cinéma en Algérie, malheureusement. Il y avait une motivation authentique de toute l’équipe technique, des volontaires artistiques, des jeunes et des quelques responsables impliqués soit par amour, par erreur ou par intérêt – une expérience rare des événements que nous connaissions d’habitude. Ce fût la première grande école de la pratique du cinéma pour un bon nombre d’entre-nous.
ZA: D’une maison de culture à Tizi-ouzou aux grandes universités britanniques et américaines, c’est plutôt rare ?
KS: D’abord comme enseignant… puis cette période, qui s’étalait sur quelques années passées entre l’Algérie et la France, a énormément contribué à ma formation. C’était surtout mon expérience avérée et une fréquentation des cercles artistiques et littéraires, écoles et universités sur les deux rives de la méditerranée. Cette période, en réalité inachevée, a été suivie d’un départ en Angleterre où, dès la fin de ma première année de préparation universitaire intensive, une bourse d’état m’a été octroyée par l’Université d’Exeter pour suivre tout mon cursus de graduation et post-graduation jusqu’à l’obtention du doctorat en philosophie des arts.
ZA: Après sept années d’études où vous avez reçu votre diplôme avec la plus haute distinction et un post-doctorat de deux ans, vous repartez à Tizi-Ouzou sans être tenté par une carrière à l’étranger. Etait-ce un appel de la terre ?
KS: Il n’y avait pas que moi dans cette décision. Mon épouse [note: ZA, yellis n tmurt], qui venait d’obtenir son doctorat à l’Université d’Exeter, était aussi animée par une envie réelle et un engagement profond de retourner et servir notre pays. Donc, oui, je vous l’accorde… la terre nous avait appelés et nous avions honorablement répondu. Tous deux alors, installés à l’Université de Tizi-Ouzou en tant qu’enseignants-chercheurs, avions continué de bénéficier d’un statut de chercheurs attachés à l’Université d’Exeter grâce aux bons résultats obtenus durant nos études et aux rares projets de recherches que nous avions déjà chacun entamés là-bas.
ZA: Votre retour était donc synonyme d’espoir individuel et animé d’un esprit patriotique…..
KS: Il l’était dans une certaine mesure.
ZA: Vous semblez insinuer que ces aspirations n’ont pas tout à fait abouti. Que s’est-il passé à votre enthousiasme?
KS: Le contexte, à l’époque et jusqu’à présent d’ailleurs, n’était pas favorable à tous les retours sincères, honnêtes, désintéressés et surtout, comme vous le dites, animés par une forte volonté de servir et de contribuer. J’étais confronté à une réalité qui était celle de tous les Algériens où la situation ressemblait plutôt aux dessins animés, où tout était possible et impossible à la fois. Lorsque, par exemple, vous passez une journée de réunion en conseil scientifique d’université dont une moitié est consacrée à la construction d’une clôture et l’autre à se chamailler au sujet de l’achat d’ordinateurs ou à se disputer presque à coups de poings les quelques petites miettes de devises que le ministère accordait aux stages de courte durée à l’étranger, vous vous demandez sérieusement si vous avez atterri au Disney Land pour combler un rôle de figurant ou faire partie des spectateurs… Alors le sentiment de refus vous hante et vous ne voulez pas vous mentir et mentir aux autres. Qu’on ne dise pas que c’est telle ou telle raison au pays qui fait partir les enfants de la patrie ! Pas trop de peine a été dépensée pour les retenir, les intéresser, les motiver, encore moins les convaincre du contraire ou les protéger, non pas physiquement, mais des harcèlements et lenteurs bureaucratiques et du marasme universitaire qui perdure. Et c’est dans ce contexte, en y regardant de plus près, que le gaspillage et le découragement s’opèrent en Algérie. L’absence de transparence de gestion et de décision aux niveaux important et clés dans les secteurs de l’enseignement supérieur ou de la recherche, ne fait pas avancer les choses. Tout ce qui se fait par les bonnes volontés n’aboutit pas. C’est ce qui est très dramatique. Lorsque le commerce, l’industrie et autres secteurs de la vie d’un pays ne croient plus à l’université et à la recherche, lorsque la gestion de cette dernière est en fonction des humeurs des uns et des caprices des autres, lorsque l’administration dicte les règles de la recherche, il reste le trabendo dans les rues, un patronat précaire, Danone et darbouka à la télé. Alors, les chercheurs ne croient plus aux discours et ne trouvent pas d’interlocuteurs à qui vendre leur substance cérébrale. Que faisons-nous alors dans les centres de recherches des pays développés ? C’est simple : nous la vendons à des partenaires qui savent où investir et comment servir leurs nations.
ZA: Vous indiquez que tout était possible et impossible en même temps. C’était du positif malgré sa contradiction ?
KS: Pour plus de précisions, en voici un exemple Kafkaïen auquel un chercheur et directeur d’institut fut confronté. Durant l’hiver de 1993-1994, je me suis rendu compte que les étudiants souffraient de froid dans des salles de classe bêtement non chauffées. Il était devenu inconcevable de leur enseigner un cours de deux heures pendant qu’ils grelottaient, et leurs méninges gelées, empêchaient probablement de travailler. Pour y pallier, une gymnastique administrative et imaginaire était nécessaire. Ceci n’était d’ailleurs ni de mon ressort ni de mon expertise. Une des solutions était de trouver des plaques chauffantes en utilisant des connaissances personnelles et ensuite confronter une bureaucratie imposée à l’université et pire encore à un contrôle financier de wilaya. Un peu de chaleur fut éventuellement donné aux étudiants, ceux qui allaient devenir « l’élite de demain ». Mais à quel prix ! On doit extraire l’université de tout ce qui la parasite, c’est-à-dire du fonctionnement semblable à celui d’une mairie.
ZA: Est-ce ce fonctionnement qui pousse les gens à partir ?
KS: L’Algérie a envoyé à coup de milliards de devises des algériennes et algériens en formation de très hauts degrés dans de prestigieuses universités étrangères seulement pour les transformer, à leur retour, en machines administratives sans jamais leur procurer les conditions de travail et un minimum de bien. Beaucoup de ceux qui n’ont pas eu la chance de se former à l’étranger sont aussi devenus, par leur propre volonté et leur génie, des cerveaux de pointe. Le malheur, c’est qu’on a aussi essayé de créer un nouveau tabou en dressant des cadres formés en Algérie contre ceux formés à l’étranger. Ceci a engendré ainsi de faux complexes et des perceptions très négatives et une meilleure dislocation du système de la recherche et du développement. En résultent des confusions fatales entre gestion de la recherche et gérance de l’administration.
ZA: Mais il y a eu certainement des situations positives…..
KS: Par ironie au cas précèdent que je vous ai cité, la construction d’une cloison permettant de créer une salle pédagogique, n’avait nécessité ni bureaucratie ni autre gymnastique. Par la seule volonté personnelle de deux agents de l’institut, cette cloison fut faite en un temps record.
ZA: Voulez-vous dire que les Algériens sont capables de résoudre des problèmes ?
KS: Heureusement ! Ils le sont bien chez eux et à l’extérieur, preuve est de voir qu’ils sont recrutés par de grandes universités, centres de recherche et grandes sociétés dans les pays que certains appellent les « impérialistes ». En dehors de la bureaucratie et avec un bon rapport de confiance, ils sont plus que capables. Je n’ai fait que mentionner l’utilité d’une salle supplémentaire à ces deux agents – que je salue au passage – que le lendemain, je les vois monter l’escalier avec des briques, du sable, et du ciment. Le mur fût construit, l’espace créé, la pédagogie pouvait avancer et les enfants du pays pouvaient espérer. Si, par contre, j’avais enclenché une opération administrative, selon la règle, cette salle n’aurait vu ni le jour ni la nuit. Ce genre de situations burlesques nous incite à comprendre d’outrepasser les règles et donc de participer à ou créer ce qui est en réalité de l’anarchie. Pour pousser un peu dans la dérision, c’est presque une façon dialectique de vous impliquer tout en vous faisant croire que vous êtes le meilleur des meilleurs – et vous serrez le docteur d’état en philosophie génie de l’astuce administrative, et pas seulement un « gestionnaire trabendiste » mais un corrompu !. Je partage votre sourire…. Donc, pour répondre, les Algériens sont très capables et ont le génie de s’entendre et du savoir-faire. Cependant, une force de contradiction émane de longues traditions et habitudes… C’est dire que le colonialisme a bien eu ses effets et si l’indépendance a eu peut-être les siens.
ZA: Si je comprends bien, vous aviez atteint le point de repartir…
KS: Oui, en quelques sortes. C’était pour ne point sombrer dans le coma de l’inactivité et commettre des crimes contre l’espoir. Là aussi, les moyens de se développer et de contribuer au savoir de manière efficace et ambitieuse m’ont été présentés sous la forme d’une proposition de contrat de chercheur universitaire et de carrière, qui était aussi soutenue par l’Académie britannique et le British Council. La décision de repartir n’était ni hâtive ni concrète dans ma tête, mais plutôt difficile car j’avais vécu presque une décennie d-aghrib.
ZA: Vous êtes donc repartis pour accomplir votre rôle de chercheur. Quel a été ce projet ?
KS: Oui, j’allais accomplir ce qui ne m’était pas permis de réaliser en Algérie et peut-être même pour mieux servir ce pays et les autres pays d’Afrique du Nord. Je continuais dans le même canevas d’idées que j’avais abordées durant mes recherches précédentes, c’est-à-dire la problématique du colonialisme dans la production intellectuelle et culturelle post-coloniale, la notion du legs dans les théories qui traitent du conflit culturel et linguistique et ses différentes représentations. Loin des schémas dogmatiquement classiques.
ZA: Vous avez choisi de baser la problématique du colonialisme sur un matériel artistique et littéraire. Pourquoi ne peut-on pas plutôt la baser sur l’histoire écrite ?
KS: L’histoire est effectivement écrite d’une manière ou d’une autre mais la question de « poursuite de vérité » se pose et se suit. Quand celle-ci provient déjà d’un contexte erroné, la recherche lui impose des critères auxquels répondent les travaux d’artistes et littéraires qui sont souvent et malheureusement marginalisés à cause justement de la qualité critique de leur production. Pour contribuer aux philisophies modernes et particulièrement post-coloniales, le produit de l’esprit ou de la pensée est celui sur lequel s’appuie toute la nouvelle conceptualisation développée dans nos travaux de recherche théorique. L’histoire la plus pertinente est celle écrite par l’image, la peinture, le geste... Elle subvertit la raison coloniale et avertit la raison post-coloniale. Le résultat est dans les centres de recherche des grandes universités qui misent notre contribution à la réhabilitation du sens de l’histoire et de la logique de l’art.
Comme illustration, on peut dire que l’une des personnalités britanniques est représentée par une logique de l’histoire colportée à travers les travaux de Shakespeare. Le concept de nations – vrai pour beaucoup de pays et de nations développés – est ce qu’on appelle en anglais le « cultural construct », l’essence même d’une matière culturelle, produit de l’intellect. En Algérie, c’est à peine si des Yacine, Mammeri, Dib, Benaissa, Bachetarzi, Allouache, Issiakhem, Baya, Djebar pouvaient avoir une place sur des étales de rares librairies ou éventuellement présents aux événements sporadiques organisés selon les humeurs et caprices de quelques responsables. Seuls des miracles permettraient à leurs travaux de constituer un substrat que les programmes de recherche, d’enseignements, de diffusion et de dissémination devraient avoir comme objectif de consolider et nationaliser. L’une de mes tâches – et celle de beaucoup de collègues chercheurs – consistent justement à valoriser et à réhabiliter ce genre d’essence culturelle et à lui donner un sens historique. Cela se fait à partir d’outils de recherche que nous développons et ma venue ici dans l’Université de l‘Illinois contribue à l’initiation d’un groupe de chercheurs à de nouvelles approches et méthodologies allant dans ce sens. Tristement, l’histoire ou la culture nord-africaine se fait connaître à l’extérieur de son milieu naturel. En Afrique du Nord, on continue à croire qu’on fait un travail réel par les festivals et les commémorations à des coûts de millions de dinars qui peuvent bien être mis à la disposition de jeunes chercheurs extraordinairement capables. Aujourd'hui, c'est à l'extérieur qu’Assia Djebar nous représente mieux et ce n'est pas à partir d'Alger qu'elle est membre de l'Académie Française. Si d'autres écrivains nord-africains ont aussi atteint de hautes reconnaissances en étant à l'extérieur, cela veut dire beaucoup.
ZA: Une œuvre est composée de plusieurs éléments. Vos lectures se font-elle par une approche sélective ou par une vue d’ensemble ?
KS: L’art est un ensemble complexe et ma tâche est peut être celle de la déconstruction pour mieux discerner ses constituants en réalité indissociables. Par conséquent, il est important de les associer à leur contexte et de poursuivre leurs significations à la racine, à la naissance même de l’idée. Sélectionner n’est donc pas l’approche ou le terme exact, mais des démarches pragmatiques nous amènent à reconstituer la logique du discours écrit, imagé ou interprété, c’est-à-dire représenté grâce à l’analyse d’éléments les plus appropriés.
ZA: Y a t il des aspects particuliers qui attirent votre attention ?
KS: Peut-être que je regarde d’un œil critique, et une observation à distance permet de mieux cerner et focaliser les éléments de l’œuvre à étudier. Au départ la problématique se dessine à partir du plus frappant et progresse vers le sens à rechercher. Vous trouverez par exemple dix chercheurs de la même oeuvre répondant à la même question par dix démarches et dix perspectives différentes. Cela s’appelle de la démocratie intellectuelle. En Algérie, la confusion de la science et la politique mène à la censure et le contrôle qui se font à travers des moyens bureaucratiques comme ceux que je viens de citer. Je dis censure dans le sens de sélection d’intérêt. Cette confusion, en fait, n’assure que la pérennité de l’inactivité et le chaos des priorités. Ce qui attire aussi l’attention d’un chercheur, c’est l’impact, l’effet et la réception d’une œuvre. Mais, une parenthèse si vous me le permettez, on ne rend pas service à une œuvre ou à un auteur en l’évoquant de manière spéculative et chauviniste. En Algérie, Yacine, Mammeri, Matoub pour ne citer qu’une infime partie de la liste, sont plus cités dans des discours politiques qu’ils ne le sont dans des discours académiques. Il serait utile de voir cette situation renversée si on veut crédibiliser et valoriser leurs travaux donc les inscrire dans les anales des sciences humaines. Laïciser les discours veut dire rendre à la science ce qui lui appartient et à la politique sa place.
ZA: Un bon nombre d’œuvres deviennent des références. Quelle serait votre explication pour le film «La Bataille d’Alger » ?
KS: Précisément, cette œuvre n’est pas seulement une référence et une matière à étudier, mais, c’est aussi parce que des chercheurs universitaires lui ont donné un sens. Elle est d’une grande utilité d’abord pour les peuples opprimés et pour les politiques et les décideurs, y compris ceux du Pentagone qui ont ré-analysé le film récemment et ce après le début de la guerre en Iraq. Comme quoi, l’historien ou l’histoire écrite dont on parlait tout à l’heure ne suffit pas à faire avancer les sociétés. L’image a un très grand rôle dans la documentation et la compréhension du sens des événements, donc la saisie de la logique de la pensée. Les Américains avaient eu recours non seulement au film mais à beaucoup d’œuvres universitaires et recherches faites sur ce film pour résoudre des dilemmes de l’ordre de la pensée. Donc, la recherche informe le politique et non le contraire, mais nous sommes en Amérique…
ZA: Beaucoup d’œuvres peuvent rester inconnues du public algérien Le film « Le Tuteur de Mme La Ministre », écrit et réalisé par Djamila Amzal, en est un exemple.
KS: Ce film est certes méconnu non seulement du public algérien mais aussi des spécialistes du domaine aussi. Il l’est par le premier pour cause d’absence de distribution et de culture cinématographique. Mais sa méconnaissance par le dernier pourrait lui causer une mort temporaire parce que justement non suivi et non soutenu par la critique. Un film ne vit et n’a de valeur post-réalisation que par la critique et l’analyse de sa réception qui le suivent.
ZA: Vous venez de présenter ce film dans votre cours. Pourquoi l’avez-vous présenté?
KS: Seul finalement un film comme celui-ci peut poser le problème du Code de la Famille d’une manière aussi nuancée et concise, aussi subtile et intelligente, offrant ainsi un texte culturel que ni les livres d’histoires algériens, ni les écrits journalistiques ne peuvent assurer. Ce film, salutairement didactique, dit ce que l’histoire et les historiens ne disent pas. Mes étudiants avaient déjà lu le Code de la Famille et ce qui a été écrit sur ce code sans vraiment avoir saisi les nuances ou la dimension du problème. Vingt-six minutes d’images leur ont permis d’apprécier le sujet et même de le choisir comme thème de recherche pour leurs dissertations.
ZA: La conférence de l’Université d’Oregon de 2005, celle à l’Université de Harvard en 2006, « La Bataille d’Alger » au Pentagone et même votre poste à l’Université de l’Illinois indiquent un regain d’intérêt sur l’Afrique du Nord. Comment expliquez-vous cet intérêt ?
KS: L’Afrique du Nord a toujours plus ou moins intéressé les universités étrangères. Son histoire, sa culture, son plurilinguisme, et, paradoxalement, la force de ses contradictions qui rongent son existence récente et indépendante offrent une matière pour des paradigmes nouveaux. Ceux-ci contribueront à la saisie des phénomènes qui découlent de la contradiction, de l’antagonisme et qui projettent d’une manière intéressante sur ce qui est appelé la mondialisation
ZA: Comment s’est passé votre séjour ici? Y a t il une appréciation différente de l’Afrique du Nord aux USA par rapport à l’Angleterre?
KS: Mon séjour a été l’un de plus agréables, le plus enrichissant et le plus pertinent de ma carrière au dehors de l’Europe jusqu’à présent. Pour ce qui est de l’appréciation, il est rare de voir une université consacrant des budgets pour l’acquisition de documentation sur l’Afrique du Nord et de l’Afrique du Nord autant que fait celle de l’Illinois. Cela indique l’intérêt accordé à cette région, qui est constamment couronné par des thèses et des recherches de qualité par le passé et le présent. C’est aussi autant en Angleterre. Cela, j’imagine, est propre au monde anglo-saxon.
ZA: Comment expliquez-vous l’intérêt que portent les institutions universitaires pour recruter des spécialistes originaires de l’Afrique du Nord pour leurs départements?
KS: L’une des qualités de tous les Nord-Africains chercheurs que j’ai eus à rencontrer dans les universités américaines et européennes est celle de l’intégrité intellectuelle auxquelles s’ajoutent sérieux et persévérance. Donc, investir en recrutant souvent dans d’excellentes conditions ces Nord-Africains montre la conviction et la confiance qu’a l’occident universitaire en leurs contributions. Les chercheurs nord-africains travaillent très bien pour peu qu’ils se sentent indépendants, libres de contraintes sociales et politiques et surtout valorisés. L’Occident a bien compris cela, les pays nord-africains l’ont beaucoup moins compris.
ZA: Pouvons-vous indiquer un exemple de services qu’offrent les bibliothèques universitaires de l’Illinois aux enseignants-chercheurs?
KS: Lorsqu’on vous dit « ne perdez pas votre temps à chercher vos sources à la bibliothèque ou ailleurs dans le monde, dites-nous simplement ce dont vous avez besoin et on vous le cherchera et vous l’emmènera jusqu'à votre table de travail dans les minutes ou les heures qui suivent », vous saisissez vite la valeur et l’importance de votre temps donc de votre travail. Lorsque vous n’avez pas fini d’énoncer les titres d’ouvrages dont vous avez besoin qu’ils sont déjà commandés, votre motivation augmente à grande vitesse. Lorsque vous arrivez pour diriger une chaire et vous trouvez une assistante, un personnel qualifié et un groupe de chercheurs des plus enthousiastes et disponibles, vous oubliez de manger et de dormir sans tomber malade. Lorsque vous vous apprêtez à conclure votre chaire, on vous annonce qu’elle est suivie d’un arrivage de centaines de livres directement d’Afrique du Nord pour que votre équipe et étudiants puissent continuer à travailler selon votre plan, vous avez envie de finir vos jours et être enterrés sous ces livres. J’ironise sur tout ça, mais sans aucune façon. Je ne peux retenir cette humeur un peu sarcastique de vous présenter ces bonnes conditions en conséquences des longues frustrations passées. Jouer à la simplicité serait mentir à mes sentiments.
ZA: Parmi les universités algériennes, y a t il quelques-unes qui produisent de la recherche à un niveau équivalent aux universités étrangères?
KS: Qu’on s’entende bien, les Algériens qu’ils soient au pays où à l’étranger sont eux-mêmes des exemples de haut niveau. Le pays ne souffre pas de qualité de chercheurs. Ce sont les structures et les modèles de structures existantes qui sont un problème à quoi s’ajoute un environnement inadéquat. D’autres questions sont aussi à considérer, telles que la place de la recherche, la conception de la recherche, le rapport à la recherche et au chercheur, l’édition. Mais des universités qui sonnent bien dans les esprits, en sciences humaines et sociales, ici en occident sont l’Université d’Oran, d’Alger, de Constantine, celles-ci ayant affirmées de longues traditions et ayant formé des générations aujourd’hui présentes dans le monde.