L'Obéissance et la Responsabilité Individuelle
Pourquoi les gendarmes, les policiers, et les CNS tuent-ils? Pour qu’ils arrêtent de tuer, suffirait-il qu'ils reçoivent des ordres de ne pas tuer? Nous savons tous que c'est parce qu'ils savent qu'ils sont protégés par le pouvoir qu'ils ont tué et qu'ils continueront à tuer. La mascarade du jugement de l'assassinat de Massinissa Guermah dans un tribunal militaire est un bon exemple. Le tribunal a fait justifier le meurtre, donner la liberté au gendarme, lui qui a donné la mort à Massinissa.
La question est alors de savoir pourquoi les gendarmes obéissent-ils aux ordres. Après tout, ne sont-ils pas issus du peuple, c'est à dire des Algériens comme nous tous ? Qui parmi nous ne connaît pas personnellement un gendarme, un agent des CNS et même un policier? Nous avons eu quelques fois recours à leur service pour quelque futile papier ou service.
La réponse à la question « Pour que les gendarmes et les CNS arrêtent de tuer » a été l'objet d'une recherche connue sous le nom de « l'expérience de Milgram » entreprise à l'université' de Yale de 1961 à 1962 par le Psychologue Stanley Milgram. Il engagea un groupe de volontaires qu'il rémunérait. On fit croire aux volontaires que l'expérience concernait l'effet de la punition sur l'apprentissage. Chaque volontaire, jouant le rôle du «maître d'école», est amené à s'asseoir de manière à observer une personne, jouant le rôle de l'élève, durant un examen. Cette personne que nous appellerons «élève» portait des électrodes sur sa tête. Celles-ci étaient branchées au un panneau électrique que le «maître» contrôlait. On fit savoir au volontaire de surveiller l'examen et que lorsque «l'élève» commettait une faute, il devait le punir avec une décharge électrique en actionner un levier sur le panneau de contrôle. Plus le nombre de fautes augmentait, plus la décharge électrique devait augmenter. Le panneau de punition comprenait trente boutons, avec des indications «petit décharge» jusqu'à «Danger - décharge sévère.»
Ce que « le maître » ne savait pas, c'est que « l'élève » était un acteur et qu'il ne recevait pas de décharge électrique. L'acteur devait tout simplement prétendre d'avoir mal lorsque le volontaire actionnait le bouton. Lorsque «le maître» punissait «l'élève» à contrecoeur, le surveillant de l'expérience intervenait en disant : « L'expérience requiert que vous continuiez.»
Dans ces conditions, 2/3 des « maîtres » ont continué d'appuyer sur les boutons électriques jusqu'au niveau maximum décharge électrique de 450 volts lorsque les réponses étaient fausses et même lorsque «l'élève» montrait des signes d'agonisant. Aucun volontaire n'arrêta à 300 volts.
Il faut savoir que les 2/3 des «maîtres » volontaires appartenait à la catégorie des sujets obéissants (dociles) et qui représentaient des gens ordinaires, occupant des fonctions de chefs de services ou ayant des emplois professionnels. Cette expérience démontra à quel point la docilité à l'autorité a pu amener des gens ordinaires à faire souffrir des gens qu'ils ne connaissent ni d'Adam ni d'Eve.
Cela a aussi démontré la facilité avec laquelle les gens qui apprennent à suivre les ordres, obéissent aux autorités. Des observateurs expliquèrent que les gens ordinaires qui obéissent ont perdu le sens des actions morales. Pour se justifier, ils se déresponsabilisent de leurs actes et ils supposent que les autorités doivent savoir mieux qu'eux.
Les gendarmes, CNS et policiers étaient des gens ordinaires aussi. Forcés par le chômage et les difficultés économiques, ils s'engagent et sont enfermés pendant des années dans des casernes où ils apprennent à obéir aux ordres, aussi inhumains soient-ils? Lorsque l'ordre de sortir arrive, ils doivent mettre leur tenue de forces de l'ordre (lire forces de répression). La tenue leur permet de les différencier du peuple qu'ils doivent tuer et de se déresponsabiliser, leur donnant l'impression que ce n'est pas eux qui tuent mais la loi du pouvoir qui tue, oubliant que c'est leur main qui appuie sur la gâchette.
Il faut aussi noter qu'un tiers des volontaires refusèrent de continuer à punir le candidat, prouvant que les gens ordinaires ne sont pas tous des dupes et refusent d'obéir aveuglement aux ordres lorsqu'un choix moral est nécessaire.
Pour nier leur part de responsabilité, nos gendarmes, les CNS et policiers acceptent les ordres d'en haut, oubliant que les ces ordres ne viennent pas d'en haut, mais plutôt d'autres gens qui sont à Alger, cachés dans leurs bureaux et leurs bunkers.
Il est peut-être bon de rappeler l'idée développée durant le procès de Nuremberg le 4 décembre 1945, par Sir Hartley Shawcross, représentant l'accusation pour le Royaume-Uni, en développait l'idée :
« Le loyalisme politique, l'obéissance militaire sont des choses excellentes, mais elles n'exigent ni ne justifient la perpétration d'actes manifestement injustifiables."
Il ajouta: " Il arrive un moment où un être humain doit refuser d'obéir à son chef, s'il doit aussi obéir à sa conscience. Même le simple soldat qui sert dans les rangs de l'armée de son pays n'est pas tenu d'obéir à des ordres illégaux. »
Un vieil indien d'Amérique a décrit sa vie intérieure comme un combat de deux chiens qui se disputent à l'intérieur de lui-même. Un des chiens est bon et l'autre mauvais. Quand on lui demanda lequel des chiens sort vainqueur, il répondit: « Celui que je nourris le plus. »
En enfermant les gendarmes, les militaires et autres forces de répression dans des casernes et en les isolant du reste de la population, le pouvoir nourrit les mauvais chiens et affaiblit les bons chiens en eux. Les crimes qu'ils commettent en sont une preuve.
Si les gendarmes de répression doivent apprendre quelque chose c'est que tous les ordres ne sont pas légaux. Le premier ordre illégal est l'ordre de tuer. La justice qui les acquitte n'est pas la vraie justice.